Démocratiser l’entreprise – événement Smart
Un mardi soir sur la terre, pour une discussion publique autour de la démocratie en entreprise, je me retrouve autour d’une table ronde avec Anne-Laure Desgris, co-administratrice de Smart, la plus grande coopérative d’Europe (60.000 artistes sur le payroll!), Isabelle Ferreras, sociologue à l’UCLouvain, spécialiste incontournable du sujet, et enfin Geneviève Laforêt, du département “entreprises” de la CSC, syndicat belge. Le thème précis choisi était “démocratie en entreprise, une expérimentation infinie”...

photo: Marie-Ange Boisramé
"Être démocrate, ce serait agir en reconnaissant que nous ne vivons jamais dans une société assez démocratique."
Jacques Derrida / Le Monde de l'éducation
L’idéal de démocratie nous poursuit depuis la nuit des temps, et reste pourtant au quotidien un défi, une expérience sans fin, semble nous dire Anne-Laure. Smart s’équipe et teste au quotidien de nouvelles modalités de démocratie d’entreprise, car si le vote majoritaire à l'Assemblée Générale (1 personne = 1 voix) est la garantie d’un fonctionnement démocratique, il ne peut être son expression quotidienne. L’égalité de traitement que ce vote inspire donne un fondement culturel pour Smart, qu’il faut traduire au quotidien, en gardant à l'œil l’autre idéal 1, celui d’une efficacité collective. Et au final, il me semble que les mécanismes qui traduisent la démocratie dans le quotidien d’une coopérative ne sont pas fondamentalement différents de ceux que nous pouvons aborder avec nos clients dans des organisations plus classiques mais déterminées à évoluer, qui doivent aussi créer de la richesse sur base d’une diversité, prendre des décisions rapides dans un monde complexe, engager des individus envers des collectifs. L’intelligence collective, en somme, qui peine parfois (souvent?) à se manifester dans nos institutions “démocratiques”...
"Il n’y a pas de richesse sans créativité, ni de créativité sans démocratie."
Jacques Attali / Lignes d'horizon
Isabelle et Geneviève nous questionnent: comment soutenir l’idée d’une entreprise plus démocratique tant que le rapport de force restera tel quel entre actionnaires, travailleurs et dirigeants ? Nous abordons la notion de subordination qui définit si singulièrement le contrat de travail. Cette subordination est d’une part critiquée pour son côté asservissant, et d’autre part, on s’attaque aussi à son absence dans les nouvelles formes de travail “uberisées”, où chacun est laissé à son propre sort. C’est l’occasion pour moi de faire ressortir l'importance de nouvelles formes de travail où tant l’autonomie que l’inclusion sont présents, où la remise en question de la notion de subordination ne supprime pas, bien au contraire, la notion de lien. L’autonomie ne doit pas mener à l’individualisme, et cela est possible en remettant en avant les notions de reconnaissance, d’égalité intrinsèque, de bienveillance, de respect. Au final, dans nos vies, nous nous soumettons tous à quelque chose de plus grand que nous, que ce “quelque chose” s’impose ou non. Nous prônons des organisations où les femmes et les hommes choisissent de se subordonner à un objectif commun plutôt qu’à une personne, et où les entraves de cette subordination sur nos choix quotidiens sont limités au strict nécessaire à la vie en commun et à la performance collective.

Plus tard, Isabelle nous rappelle les concepts juridiques qui sous-tendent la Société Anonyme, véhicule qui selon elle (à la suite de nombreux auteurs!) fût pensé à la seule fin d’extraire la richesse créée par le travail vers les poches des actionnaires et dirigeants. S’ensuivent quelques échanges sur la co-gestion, cette idée d’avoir au plus haut niveau une représentation élue des travailleurs, telle qu’elle est vécue en Allemagne, ou préconisée par Isabelle dans plusieurs travaux sur le bicaméralisme. Ni l’une ni l’autre idée ne sont encore pleinement soutenues par les syndicats, qui y voient une évolution intéressante mais encore trop radicale au vu des combats menés actuellement. A nouveau je cherche à illustrer le débat au niveau que je connais : l’organisation quotidienne des décisions à tous les niveaux. Je m’aperçois que nos propositions, mises en oeuvre chez nos clients, sont assez radicales, en fait, alors que mon discours paraît moins militant que celui de mes voisines 2. Nous instaurons, dans le quotidien, une réelle démocratie décentralisée, locale, avec des composants de co-gestion - un exemple frappant étant l’apparition du rôle de représentant élu dans chaque équipe (cercle), et l’octroi systématique à ce dernier d’une place de citoyen à part entière au niveau du cercle supérieur.
“L'histoire de la démocratie nous offre une combinaison bien remarquable d'utopies et de mythes"
Georges Sorel / Réflexions sur la violence
On me questionne alors à juste titre sur l’existence de superficialités diverses, voire de risques de manipulations : est-ce que cette proposition forte sur le papier se traduit dans les faits ? Je m‘empresse d’admettre qu’il s’agit là d’un risque majeur, du risque principal en fait 3. En l’absence d’une intention authentique, et de croyances fermement alignées sur l’idéal démocratique, cela tourne rapidement à la mascarade. Le plus haut niveau doit se montrer exemplaire et digne de la nouvelle structure. Les entreprises s’appuyant sur une mission qui engage ont plus facile à mettre cette nouvelle structure en œuvre. Mais tous peuvent y arriver, souvent au prix d’un travail personnel des leaders mis sous pression par les exigences de profit à court terme et formatés par des années de “on a toujours fait comme ça”. Il appartient aussi aux syndicats de veiller à ce que les promesses des programmes de changement soient tenues et mènent effectivement à un mieux-être et à plus d’efficacité.
Les entreprises tayloriennes sont remises en question par la complexité et la volatilité du monde. Ainsi, même les perspectives utilitaristes, celles qui cherchent uniquement à maximiser l’efficacité, nous conduisent vers l’intelligence collective. La conviction humaniste et démocratique habite souvent nos commanditaires, mais trop souvent encore au second plan. C’est sans doute ce qui manque pour passer de méthodologies "en vogue" à des entreprises où les personnes pourront réellement se reconnecter à leur potentiel humain, les uns aux autres et à ce qui les entoure. Ce serait pour nous l’avènement d’une véritable démocratie d’entreprise...
Ce fût en tous cas un plaisir de se retrouver autour de cette table pour nous rappeler que nous avons besoin les uns des autres pour avancer dans ces expérimentations en taille réelle - dirigeants, syndicats, universitaires et consultants doivent faire équipe pour faire avancer la démocratie en entreprise, en expérimentant au quotidien ! Merci Smart pour l’organisation (et la boîte de chocolats).
Si vous voulez naviguer vers plus de démocratie dans votre entreprise, parlons-en.
1 Un idéal qui correspond à l’idée même d’entreprise, qu’elle soit coopérative ou non…
2 Notez que je n’utilise pas mot “militant” de façon péjorative – cette modalité est, parmi d’autres, indispensable à l’avènement duu progrès que nous devons réaliser ensemble
3 Phusis le dit depuis toujours: voir ce post par exemple.
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